Alors que les États-Unis viennent de lancer avec succès leur premier vol habité à destination de la Station Spatiale Internationale grâce au lanceur SpaceX développé par une entreprise privée, une première. Mais, en temps de crise écologique, sociale et morale, la conquête spatiale demeure-t-elle une aventure pertinente et porteuse de rêves ? L’astrophysicien Aurélien Barrau questionne la démarche dans ce texte.
Le spatial fascine. Les fusées font rêver. Les navettes émerveillent. Mais ce rêve contribue aujourd’hui à alimenter un peu du cauchemar à venir. Il est légitime de l’interroger. Curieusement pourtant, questionner le bienfondé du « spatial » choque, ulcère, scandalise. Comment si le cœur dur du génie humain s’était ici – et nulle part ailleurs – logé. Peut-être est-il pourtant nécessaire de dépasser ou de renverser ce mythe. Sans la moindre velléité nihiliste ou provocation aigrie, il ne s’agirait que de ré-enchanter un autre rapport à l’espace.
Avec les fusées, l’Univers ne nous est pas devenu accessible. Rappelons que si l’on ramène la taille de la Terre à celle d’une orange, la Station Spatiale Internationale se trouverait à une distance de celle-ci qui équivaut à… l’épaisseur de sa peau ! Quant à la distance entre la Terre et la Lune, elle n’est, comparée à celle de notre Galaxie, qu’un dixième de l’épaisseur d’un cheveux par rapport à la Terre … Et notre Galaxie n’est, elle-même, qu’une infime « molécule » dans le fluide cosmique. Il serait donc totalement insensé de ressentir nos minces envolée spatiales comme un accès réel à l’Univers profond. Il n’en est rien.
La frontière disparue n’est donc pas celle qui nous sépare des espaces interstellaires. Celle-ci demeure bel et bien. Ce sont plutôt les frontières arbitraires de nos pays, de nos états, de nos nations, dont l’inexistence physique s’est imposée avec un très paradoxal étonnement aux quelques spationautes ayant pu observer la Terre depuis l’espace qui volent ici en éclat. Et c’est une belle chose, en effet. Il semble que nous ayons si profondément intégré ces murs factices que leur absence dans le paysage réel nous choque drastiquement. Nous avions oublié la superficialité et l’obsolescence de ce morne quadrillage imposé au réel. Que des hommes surentrainés, surdiplômés et surqualifiés parviennent à s’étonner de la continuité du territoire ne dit pas rien.