Pour leur documentaire Désobéissant.e.s ! les réalisatrices Adèle Flaux et Alizée Chiappini ont suivi durant 18 mois des activistes du mouvement climat dans leur combat quotidien pour réduire les émissions de CO2. Mus par la conscience de l’urgence climatique et un sens aigu des responsabilités individuelle et collective, ces militants parisiens âgés pour la plupart de moins de 30 ans et issus de diverses organisations environnementales (Alternatiba, ANV COP21, Les amis de la Terre, Notre affaire à tous…), unissent leurs forces et s’activent sans relâche en multipliant les actions. De la création du lieu militant La Base à l’organisation de la marche du siècle en passant par des actions de désobéissance civile en France et à l’étranger, ils ne délaissent aucune tactique militante pourvue qu’elle soit efficace. Adèle Flaux nous raconte.
Quel a été le point de départ de ce documentaire ?
Ça faisait un moment qu’on voyait émerger de nouvelles formes d’activisme politique, notamment le mouvement climat. On avait très envie de faire un film sur ce sujet, du côté de ces jeunes qu’on voyait avec des chasubles jaunes dans les marches pour le climat. On ne savait pas bien qui ils étaient, comment ils s’organisaient et puis il y a eu l’ouverture de La Base. Quand ce lieu a ouvert, qu’on a su qu’il réunissait plusieurs organisations : Alternatiba, ANV COP 21, Partager c’est sympa…. on s’est dit qu’il se passait quelque chose d’important et on a donc pris contact avec eux pour suivre leur aventure.
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Vous avez suivi ces militants tout en ignorant la façon dont le mouvement allait évolué. Qu’est-ce qui vous a le plus surpris durant ces 18 mois de tournage ?
La première surprise a été la qualité de leur organisation, leur professionnalisme. Il y a une réelle ingénierie militante que je n’avais pas observé dans d’autres mouvements. Ils sont efficaces en réunion et dans leur organisation, ils pensent les parcours d’engagement, les stratégies de communication et la stratégie politique.
La deuxième surprise, c’est la part d’émotion dans cet engagement politique, ce qui peut paraitre paradoxal. C’est à la fois un mouvement très pointu et organisé et en même temps particulièrement nourri d’émotion, de peur, d’amour, d’espoir. C’est un mouvement très émotif et je crois que c’est lié à la cause défendue, qui n’est pas une cause comme les autres. Elle est particulière parce qu’elle est immense, existentielle, qu’elle touche à la survie de l’humanité, parce qu’elle implique des points de non-retour. Ça pose une urgence, une gravité et une importance de l’action qui n’est pas le fruit d’une vision idéologique mais d’une analyse scientifique. Elle est implacable.
Enfin, ce qui nous a surpris, c’est leur jeunesse et leur sens aiguë des responsabilités, qui les pousse à prendre des risques et à entrer dans l’illégalité. C’est assez impressionnant d’observer au quotidien, sur le terrain, cette détermination. Ils sont au fond les plus responsables, ceux qui répondent le plus justement à une parole scientifique. En les regardant porter seuls, si jeunes et en petit nombre cette responsabilité, ça a révélé en creux qu’elle n’était pas assumée par les institutions, le gouvernement et le reste des citoyens.
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Les dangers encourus par les militants qui adoptent la stratégie de la désobéissance civile sont réels : arrestations, peines de prisons, ripostes violentes des forces de l’ordre. Pourtant, ils ne se laissent jamais submergés par la peur des risques encourus ? Comment l’expliquez-vous ?
Ils sont très impressionnants dans leur sang-froid. Ça fait penser à un mouvement de résistance, avec la conscience profonde qu’on est à la bonne place et qu’on fait la bonne chose. Ça n’empêche pas le doute militant et stratégique, et le découragement, comme on peut le voir dans le film. Par contre, ils ne doutent jamais ou très peu face aux risques qu’ils prennent. Sandy à Londres, a un furtif moment de questionnement, lorsqu’elle est arrêtée par la police anglaise. Elle se dit qu’elle est peut-être allée trop loin en étant arrêté dans un pays étranger. D’autant plus qu’elle est seule, elle n’est pas détenue dans le même poste de police que les autres militants d’Exctinction Rebellion, ce qui est dur et éprouvant. Et puis très vite elle se dit « c’est révoltant, ce n’est pas moi qui devrait être enfermée, ce n’est pas moi qui met en péril notre avenir et qui suis en train de détruire la planète ». Finalement, c’est l’importance et l’implacabilité de cette cause qui conforte sa prise de risque.
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Comment ont-ils réagi lorsqu’ils ont vu le film ?
Ils étaient très émus de voir cette synthèse. Dans le quotidien, ce n’était pas facile pour eux de voir où ils allaient et ce qu’ils construisaient, surtout dans un combat qui est si difficile, si décevant parfois. Je crois que le film leur a permis de comprendre là où ils ont réussi à bouger les lignes et obtenu des victoires, et je crois que ça leur a fait du bien.
Il y avait tout de même une appréhension importante : ils se questionnaient sur la mise en avant de « figures » du mouvement. Ils se demandaient comment cette personnalisation serait perçue au sein du mouvement climat. De notre côté on leur avait expliqué que dans un film on avait besoin d’incarner le mouvement dans des trajectoires individuelles pour permettre aux téléspectateurs de s’identifier et de se questionner avec eux.
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Comment se porte le mouvement depuis l’épidémie de coronavirus et les restrictions sanitaires ?
Sur le terrain juridique, qui est l’aboutissement de leur activisme, ça avance beaucoup en ce moment. L’action de décrochage des portraits d’Emmanuel Macron prévoyait d’aller jusqu’au procès, ça faisait partie de la stratégie. Or depuis quelques mois il y a eu plusieurs relaxes au nom de la liberté d’expression et des décisions de justice reconnaissant l’état de nécessité face à l’urgence climatique. Autrement dit on reconnait légalement la nécessité de transgresser la loi face à l’urgence climatique. De ce point de vue, les militants restent donc très actifs.
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Dès que cela a été possible, les militants ont également retrouvé le chemin de la rue, que ce soit pour s’opposer à la loi de sécurité globale ou pour exprimer leur solidarité avec les luttes antiracistes. En septembre, ils ont également occupé l’aéroport de Roissy.
En ce qui concerne La Base, il est difficile de faire vivre ce lieu mais ils lui ont trouvé d’autres usages. Ils organisent des actions de solidarité locale et concrète qui répondent aux exigences de la période : fabrication de masques, collecte alimentaire….
Visionner le film Désobéissant.E.s !