Nous entendons régulièrement que la France perdrait l’équivalent de la surface d’un département tous les 5 à 10 ans à cause de l’artificialisation des sols. Derrière cette image marquante la réalité est parfois difficile à appréhender : la proportion des sols artificialisés est de plus importante en France et dans le monde.
Le développement de nouveaux projets d’infrastructures, comme la construction de complexes commerciaux, et l’urbanisation sont parfois vivement contestés, à l’image des mobilisations citoyennes se déroulant dans le Triangle de Gonesse, au nord de Paris. Un collectif d’habitants y a récemment installé une ZAD, une zone à défendre, pour protester contre la construction d’une gare, après l’abandon du projet EuropaCity, laquelle risquerait d’entrainer l’artificialisation de terres agricoles très fertiles.

Aujourd’hui, prenons 3 minutes pour comprendre l’artificialisation des sols. Que signifie ce concept ? Quelle est la proportion de sols artificialisés en France ? Pourquoi est-ce un danger ? Et surtout, comment agir, individuellement et collectivement, pour préserver nos terres agricoles ?

Qu’entend-on par artificialisation ?

Selon l’INRA (Institut National de Recherche Agronomique) il s’agit du « changement d’état d’une surface agricole, forestière ou naturelle vers des surfaces artificialisées, c’est à dire les tissus urbains, les zones industrielles et commerciales, les infrastructures de transport […] les mines et carrières à ciel ouvert, les décharges et chantiers, les espaces verts urbains, et les équipements sportifs ou de loisirs […]. »

Ainsi, lorsqu’on parle de sols artificialisés en France, on désigne « toutes les surfaces qui supportent l’activité humaine » (INRA) et qui ne peuvent plus accueillir une activité agricole ou être considérés comme des espaces naturels : on y construit, on s’y loge, on y développe une activité économique.

Quelle est l’ampleur du phénomène ?

Selon l’INSEE, 9% du territoire métropolitain est aujourd’hui artificiel (contre 5% dans les années 80) et la tendance n’est pas à la baisse. Au contraire, on note une reprise de l’activité de construction depuis 2016 ayant pour conséquence la disparition toujours plus rapide des espaces naturels et agricoles. Par exemple, plus de 23 000 hectares de terres auraient été perdus en 2017, soit l’équivalent de la ville de Marseille (CEREMA).

Cette cadence inquiète les scientifiques : l’IDDRI (Institut du Développement Durable et des Relations Internationales) indique que si la tendance ne s’inverse pas, ce seront 18% du territoire français qui seront artificialisés à la fin du siècle.

 

Les territoires les plus touchés par l’artificialisation sont sans surprise les littoraux et les métropoles, où la pression démographique est plus forte, mais le phénomène concerne néanmoins tout le territoire. En effet, en France, aucune région n’est totalement en reste puisque l’on artificialise surtout pour construire des maisons : 68% de l’artificialisation est due à la construction d’habitats privés. En cause, l’évolution des modes de vie et le goût de plus en plus répandu pour les maisons individuelles au détriment des habitats collectifs : moins de personnes vivent seules sur de plus grands espaces.

Deuxième déterminant de cette perte d’espaces précieux : le développement de l’activité commerciale. 25% des sols artificialisés le sont pour laisser place à des zones d’activités économiques (construction de zones commerciales, d’entrepôts…), le pourcentage restant étant lié à des causes diverses ou inconnues.

Face à ce constat inquiétant, les mobilisations sont nombreuses et les luttes contre des projets de construction ou de développement de nouvelles infrastructures (terminaux d’aéroports, constructions de lignes à grande vitesse, centres commerciaux et nouvelles zones d’activités économiques dans les communes) se sont multipliées.
L’Etat aussi a pris position sur le sujet depuis le début des années 2000 pour encadrer davantage l’urbanisation et l’aménagement du territoire et tenter de préserver les espaces naturels. Le récent Plan Biodiversité de 2018 fixe un objectif de « zéro artificialisation nette », illustrant bien la prise en compte des dangers de ce phénomène, à défaut d’atteindre, pour l’instant, les résultats escomptés.

Pourquoi est-ce un danger?

L’artificialisation des sols représente une menace importante pour nos écosystèmes.

D’abord, elle entraine la perte de terres agricoles essentielles pour nous nourrir. La surface agricole a considérablement diminué en France depuis quelques décennies : près de 52% du territoire français est aujourd’hui occupé par l’agriculture, contre 63% au début des années 50. Le grignotement des terres agricoles n’est pas une spécificité française, cela touche l’ensemble de la planète.
Il est essentiel de ralentir, voire de stopper, cet élan pour garantir la sécurité alimentaire et nourrir une population mondiale toujours croissante.
A la question de la capacité de nourrir en quantité suffisante la population, s’ajoute le critère de la qualité. En effet, protéger les terres agricoles situées à proximité des villes, reconstituer « une ceinture maraichère », est aujourd’hui l’un des axes clés pour une alimentation plus durable. Favoriser la présence de petites et moyennes exploitations agricoles aux abords des villes est indispensable pour développer les circuits courts, limiter les gaz à effet de serre liés au transport de nos aliments et redonner une place centrale aux agriculteurs dans la société.

Le sol et son rôle majeur dans le cycle de l'eau

Paysage agricole près de Châlons-en-Champagne Marne, France (c) Yann Arthus Bertrand
Paysage agricole près de Châlons-en-Champagne Marne, France © Yann Arthus Bertrand

Nous dépendons absolument des sols pour notre survie, ce super-organisme nous permet de cultiver des aliments et des végétaux qui permettront la fabrication de vêtements et autres objets. Il fournit de l’énergie grâce à sa biomasse, comme le bois, et il a un rôle majeur dans le cycle de l’eau.
Pour rappel, le cycle de l’eau désigne le trajet de l’eau sur Terre, ses changements d’états et son évolution à travers les différents réservoirs de la planète. Le soleil est le moteur de ce cycle : sous son action, une partie des eaux s’évapore pour former des nuages. Ceux-ci retombent ensuite sous forme de neige, qui alimente les glaciers, ou de pluie. Une toute petite partie des eaux précipitées parviendra à s’infiltrer dans le sol et à rejoindre les nappes phréatiques. Le rechargement de celles-ci est crucial puisque l’eau douce utilisée pour les activités humaines y est puisée. Un sol imperméabilisé, recouvert de béton, ne peut plus accomplir sa fonction : l’eau ne peut plus y pénétrer, elle ruisselle et cela affecte grandement les réserves en eau à l’échelle de la planète.
Autre effet indésirable, l’aggravation du phénomène d’inondation. Les sols ainsi artificialisés n’absorbent plus l’eau. En cas de grosses précipitations, l’eau s’accumule et entraine des inondations aux graves conséquences humaines et matérielles.

Un puits de carbone menacé

En perdant des sols, nous perdons aussi un puits de carbone essentiel. Les sols sont de gigantesques réservoirs de carbone. Ils captent le CO2 et le stockent sous forme de matière organique, vivante ou morte : d’un côté les végétaux qui ont besoin de CO2 pour effectuer leur photosynthèse et croitre, de l’autre, les organismes constitués de carbone qui se décomposent dans les sols et sont enfouis dans les profondeurs au fur et à mesure du temps.
Ce service que nous rendent les sols est central dans la lutte contre les dérèglements climatiques : en captant le CO2, ils constituent un levier pour diminuer sa concentration dans l’atmosphère et limiter l’effet de serre, à l’origine du réchauffement de la planète.

Enfin, l’artificialisation fait peser d’immenses dangers sur la biodiversité. La disparition des zones naturelles a des conséquences néfastes pour un certain nombre d’animaux qui voient leur habitat et leurs sources de nourriture altérés ou supprimés. L’artificialisation provoque notamment la suppression des « corridors écologiques » qui relient les zones à forte biodiversité, indispensables pour que les espèces se déplacent.

Qui peut agir?

Vous l’aurez compris, il est temps d’agir pour préserver nos espaces naturels ! Mais comment faire ? Qui a le pouvoir d’agir contre l’artificialisation des sols ?

L’Etat et les collectivités locales ont bien entendu le pouvoir d’action le plus étendu. C’est en faisant évoluer la législation et la réglementation que l’étalement urbain pourra être contenu et l’aménagement des espaces repensé.

Dans le futur projet de loi climat qui sera étudié dans les prochains mois à l’Assemblée Nationale, figure la proposition de diviser par deux le rythme de l’artificialisation ainsi que celle d’interdire l’implantation de nouveaux centres commerciaux, avec une dérogation possible en dessous de 10 000 m².

Le projet de loi fait suite au travail de la Convention Citoyenne pour le Climat, qui a donné la parole à 150 citoyens tirés au sort pour proposer des mesures qui permettraient la baisse de 40% des émissions françaises de gaz à effet de serre d’ici 2030. Parmi les sujets que les citoyen.ne.s ont pris en compte figurait la lutte contre l’artificialisation des sols et la consommation d’espaces naturels. Les propositions formulées étaient ambitieuses puisque les citoyens proposaient notamment de définir, sur chaque territoire, une enveloppe restrictive du nombre d’hectares pouvant être artificialisés, instaurant ainsi un seuil clair à ne pas dépasser, de faciliter la réquisition des bureaux vacants et la réhabilitation des friches ou encore d’interdire toute artificialisation sur un territoire tant que des réhabilitations de bâtiments existants sont possibles.


TOUTES LEurs PROPOSITIONS À RETROUVER ICI

 

Comment se mobiliser à l'échelle individuelle ?

Les citoyens ont également la possibilité d’agir ! Voici quelques pistes de réflexion :

  • Repenser notre façon de nous loger et privilégier les espaces plus petits et mieux pensés
  • Soutenir les mobilisations et les associations (Terres de Liens par exemple) qui s’engagent pour la protection des espaces naturels et des terres agricoles
  • Se renseigner sur ce qu’il se passe dans sa propre commune. Le gouvernement a mis en place un « portail de l’artificialisation des sols » et donne accès à une carte interactive pour connaitre l’état des sols près de chez vous.
  • Soutenir les projets de réhabilitation de friches industrielles : de nombreux tiers lieux voient le jour dans d’anciennes friches hospitalières ou industrielles. Ces projets, souvent portés par des associations permettent de penser la ville autrement.
  • S’engager pour protéger les sols de façon plus générale, notamment en soutenant une agriculture plus respectueuse de l’environnement.

Pour aller plus loin

 

  • Un article de la Fondation GoodPlanet pour comprendre la richesse des sols
  • Une infographie très complète sur la question
  • Une émission pour comprendre les luttes du Triangle de Gonesse