L’accès à une énergie propre peut prendre des formes surprenantes. Alors que nous pensons spontanément à des éoliennes ou des panneaux solaires high-tech, dans les régions rurales de l’Inde, l’énergie propre prend la forme de biogaz. Il est produit dans des réservoirs aussi appelés biodigesteurs. À l’intérieur, se décomposent les déjections des troupeaux de vaches. Depuis 2007, l’ONG indienne SKG Sangha a installé avec le soutien de la Fondation GoodPlanet 22 000 biodigesteurs dans plusieurs états indiens. En 2024, la construction des biodigesteurs devrait se terminer, mais cela ne signifie pas pour autant que le projet s’achève. Grâce à la finance carbone, le projet se poursuit. Il entre dans une nouvelle phase destinée à pérenniser ces technologies. Cette étape permet aux bénéficiaires de disposer d’encore quelques années pour s’emparer du projet, devenir autonome dans l’utilisation et la maintenance d’un biodigesteur et de retirer tous les bénéfices d’un dispositif qui leur fournit à la fois une énergie renouvelable propre et du fertilisant naturel. Retour sur ces projets hors normes qui ont changé la vie de dizaines de milliers de personnes depuis plus d’une décennie.

Il y a quelques années, la famille Rao, qui habite dans un district rural de l’état de Telangana dans le sud de Inde, a acquis un réservoir à biogaz. Comme des milliers d’autres familles rurales, elle a été accompagnée par l’ONG locale SKG Sangha, forte de 30 années d’expertise sur le sujet et de l’aide de la Fondation GoodPlanet. Grâce au biogaz, les Rao disposent d’une énergie propre, ils ne souffrent plus de la pollution de l’air intérieur provoquée par les fumées de la cuisson au bois et produisent un engrais naturel appelé digestat.

« Nous sommes très fiers que le partenariat entre la Fondation GoodPlanet et SKG Sangha ait permis à de nombreuses personnes de se libérer de la pollution de l’air intérieur, et d’améliorer également leur santé en leur évitant de respirer des substances toxiques ou de devoir aller chercher du bois loin », affirme Kiran Kumar Kudaravalli, le co-fondateur de l’ONG indienne SKG Sangha. Depuis 2006, cette ONG fondée en 1993 travaille avec la Fondation GoodPlanet pour aider les familles rurales indiennes à bénéficier d’une énergie propre et bon marché. Ensemble, en installant plus de 22 000 biodigesteurs, ils ont aidé plus de 120 000 personnes. Grâce à 3 projets dont le plus ancien a débuté en 2007, ces deux structures ont pu développer une expertise unique sur le sujet. Nitin Pagare, ancien collaborateur de la Fondation GoodPlanet qui a suivi ces projets pendant une douzaine d’années, confirme : « SKG Sangha possède 30 ans d’expérience sur le terrain. » L’ingénieur, responsable des projets et de la certification carbone insiste sur les compétences de l’ONG indienne : « elle s’avère un très bon partenaire terrain, avec une excellente expertise opérationnelle, qui connaît à la fois la technologie et la motivation derrière les projets. Ils savent clairement l’impact bénéfique qu’apporte l’accès à une énergie renouvelable propre quasi-gratuite. »

Nicolas Depoorter, ancien directeur du Pôle Action de la Fondation GoodPlanet, qui a suivi un temps les projets, résume : « il s’agit d’un projet qui a un gros impact sur le quotidien des familles. Avant d’être un projet écolo, c’est surtout un projet social. Les bénéficiaires n’ont presque plus besoin d’aller couper ou acheter du bois, de le transporter… et surtout de le brûler à l’intérieur de leurs habitations, ce qui est nocif pour les poumons. »

Qu’est-ce qu’un réservoir à biogaz ?

Au centre de tout se trouve le réservoir à biogaz. Aussi appelé biodigesteur, il est alimenté à partir des bouses des animaux d’élevage et des déchets organiques. Ces substances se décomposent à l’intérieur d’une cuve fermée et deviennent du méthane (ou CH4, le gaz naturel). C’est le processus de méthanisation. Le gaz peut alors être utilisé comme source d’énergie pour cuire, se chauffer ou produire un peu d’électricité.

Dans les régions rurales de l’Inde, cet apport d’énergie fourni par le biodigesteur change la vie. En effet, en disposer chez soi évite aux femmes et aux enfants d’aller chercher du bois à quelques kilomètres, ce qui limite la déforestation et libère du temps en supprimant la corvée de collecte du bois. Parvathy Rao raconte que « avant, pour cuisiner, nous utilisions un cuiseur à bois. Le combustible venait de la forêt située à 4 kilomètres. Chaque jour, nous nous y rendions et repartions en portant le bois sur nos têtes. » La femme et sa famille, qui vivent dans le district d’Adilabad situé dans l’état de Telangana, ont bénéficié de l’installation d’n biodigesteur. Le temps gagné est alors consacré à d’autres activités.

Le biodigesteur, un projet à impact environnemental, économique et social

S’inscrivant dans une logique d’aide au développement économique et d’amélioration des conditions de vie, le projet implique une participation active des familles. Elles prennent en charge 10 % du prix de construction du biodigesteur soit en faisant l’acquisition d’une partie des matériaux, soit en participant directement à la construction. Le reste est pris en charge par SKG Sangha grâce aux fonds de la finance carbone.

La finance carbone est née dans le sillage du premier accord de lutte contre le réchauffement climatique : le protocole de Kyoto de 1997. Elle permet à des acteurs économiques de compenser volontairement et de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre en finançant des projets qui évitent des émissions dans les pays en développement. Nicolas Depoorter en explique la portée : « il s’agit d’un mécanisme qui a été créé pour inciter les entreprises à investir dans des projets d’atténuation ou d’adaptation, et ainsi augmenter les flux financiers à destination des projets de terrain. En somme, il faut voir la finance carbone comme un canal de financement de projets environnementaux, à côté du mécénat ou des financements publics par exemple. En contrepartie de son mécénat, l’entreprise reçoit un avantage fiscal, en contrepartie de sa contribution carbone, elle reçoit un crédit carbone. » Une unité de biodigesteur installée permet d’économiser 7 tonnes de CO2 par an. Les projets indiens conduits conjointement par la Fondation GoodPlanet et SKG Sangha sont labelisés Gold Standard, un organisme référent reconnu sur la qualité des projets proposés sur le marché de la contribution climatique volontaire.

Kiran Kumar Kudaravalli explique que la plupart des biodigesteurs sont possédés et gérés par des femmes. Le co-fondateur de SKG Sangha précise la démarche : « nous pensons que l’argent est la meilleure manière d’améliorer le statut et la place des femmes dans la société. De plus, entre leurs mains, l’argent bénéficie davantage à la famille et à la communauté. Elles s’en servent pour répondre aux besoins de la famille, comme financer l’éduction des enfants. »

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Construction d’un réservoir à biogaz en Inde avec SKG Sangha
© Fondarion GooPlanet

 

Au début du projet, convaincre les familles d’adopter le biogaz s’avère une des premières difficultés à surmonter. SKG Sangha effectue un important travail de pédagogie pour présenter aux communautés rurales les avantages de posséder un biodigesteur et comment l’utiliser. Leurs bénéfices se manifestent au bout de quelques mois, mais il faut arriver à motiver les familles à consacrer un peu de temps à la maçonnerie, à l’apprentissage du bon fonctionnement du biodigesteur ou à acquérir les matériaux. SKG Sangha accompagne les familles durant 10 ans minimum, c’est une condition importante de la réussite du projet. Une telle durée de suivi limite les abandons. Nitin Pagare voit dans l’accompagnement un facteur clef, qui n’est rendu possible que grâce à la finance carbone. Celle-ci permet d’aller au-delà du coût des équipements. Il rajoute que « la finance fonctionne comme une assurance. En cas de problème ou de difficultés, les familles peuvent faire appel à SKG Sangha. Les 10 premières années, il y a un contrat avec la famille, ensuite, c’est la famille qui paye pour la maintenance du système qu’elle possède. Au début, ce n’est pas évident car le biodigesteur demande un minimum d’entretien et des gestes quotidiens de la part des propriétaires. »

Les bienfaits multiples du biodigesteur : énergie, santé, temps et digestat

Selon Parvathy Rao, propriétaire d’une unité de biodigesteur, « cuisiner au bois était difficile. Il fallait aérer sans cesse et on était exposé à la fumée. Ça faisait tousser et ça entraînait des douleurs dans la poitrine. Avec le biogaz, la préparation des repas est plus rapide, s’effectue sans fumée et il ne faut plus des heures pour nettoyer les ustensiles. »

Les prouesses des biodigesteurs aident aussi les familles agricoles à cultiver leurs champs. Kiran Kumar Kudaravalli de SKG Sanga explique qu’avec les éléments naturels il est possible d’obtenir « un engrais à haute-valeur nutritionnelle pour les plantes cultivées. Soit il est utilisé directement pour augmenter les rendements, soit il est revendu à d’autres fermes. » Vasantha Rao, le mari de Parvathy, utilise le fertilisant dans leur potager. Il affirme : « nous employons le digestat depuis deux ans, nous voyons une différence considérable dans la qualité de nos récoltes, les plantes sont plus vertes, plus productives et les rendements ont augmenté. »

Une technologie robuste

Depuis la France, la cuve dans laquelle les matières organiques se décomposent et fermentent s’apparente à de la Low-Tech. Nicolas Depoorter de la Fondation GoodPlanet note que « la technologie est simple, facile à entretenir et à réparer ». Elle nécessite néanmoins un savoir-faire. C’est pourquoi l’humain reste au cœur du projet. Tous le disent. Kiran Kumar Kudaravalli de SKG Sangha : « pour réussir, les projets ont besoin de l’implication des personnes. Nous insistons sur la formation. La maintenance des unités est une condition essentielle pour assurer leur succès ». Les projets lancés avec la Fondation GoodPlanet se poursuivront jusqu’en 2028, soit quelques années après le déploiement du dernier biodigesteur prévu. Durant ce temps-là, les familles continueront d’être accompagnées. SKG vante la robustesse de ses biodigesteurs et affirme que des unités déployées dans les années 1990 sont toujours en service. Nitin Pagare met en lumière une des spécificités du projet : miser sur une technologie déjà connue, celle de la méthanisation, non pas à une échelle industrielle, mais à une plus petite échelle. Il note que « pour l’Inde, le réservoir à biogaz n’est pas une nouvelle technologie, elle doit exister depuis les années 1980 ». Elle continue d’avoir besoin d’un soutien. « La Fondation GoodPlanet joue un rôle important en permettant aux bénéficiaires d’utiliser en continu leur biodigesteurs lors des 10 premières années grâce au soutien financier et technique pour la maintenance et la réparation. Sans cet accompagnement, les unités risquent d’être vite abandonnées à la moindre difficulté ». Il conclut en estimant que : « tout est là pour continuer à développer ces projets qui prouvent que l’indépendance énergétique est possible en milieu rural ».

 

cuisiner biogaz

Une personne utilise le gaz issu des biodigesteurs installés par SKG Sangha et la Fondation GoodPlanet pour cuisiner en Inde © Fondation GoodPlanet

 

Le premier projet de réservoirs à biogaz porté conjointement par la Fondation GoodPlanet et SKG Sangha dans le Sud de l’État du Karnataka en Inde est terminé depuis quelques années, cependant deux autres lancés plus tard, en 2018, se poursuivront jusqu’en 2028. L’un a installé 8 400 réservoirs à biogaz dans l’État du Télangana et dans le Nord de l’État du Karnataka en Inde tandis que le second terminera l’installation des 13 000 dans l’état du Madhya Pradesh courant 2024.

Shayna Vaentine, l’actuelle chargée des projets carbone au sein e la Fondation GoodPlanet dresse le bilan et les perspectives de ces projets indiens : « dans les années à venir, près de 19 000 familles bénéficieront toujours d’un accès à une énergie plus propre grâce à l’accompagnement continue de SKG dans l’utilisation et la maintenance des unités de biogaz. Cette assistance renforcera l’autonomie des familles dans l’utilisation du biogaz, engendrant des impacts sociaux et environnementaux positifs qui perdureront bien au-delà de la fin du projet. »