Cinq ans après le succès mondial de « HOME » avec ses plus de 600 millions de spectateurs et dans le prolongement du projet « 7 milliards d’Autres », Yann Arthus-Bertrand et la Fondation GoodPlanet en partenariat avec la Fondation Bettencourt Schueller présenteront en 2015 HUMAN, un portrait sensible de l’Humanité aujourd’hui. Près de 2000 personnes interviewées et une collection unique d’images réalisées à travers le monde. HUMAN abordera les thèmes transversaux de la famille, de l’amour, de la guerre… et tentera de répondre à la question universelle de qui nous sommes et ce à quoi nous aspirons.
Hervé et Marine, journalistes pour HUMAN, nous racontent leur rencontre avec les réfugiés de Calais dans le cadre d’un de leurs tournages pour ce nouveau projet de film.
« Pour son film Human, Yann souhaite vivement que l’on parle de l’immigration puisque aujourd’hui, c’est un des thèmes majeurs des habitants de notre planète. Partout dans le monde, combien de femmes et surtout d’hommes quittent leur pays ou rêvent de le faire pour aller vers des ailleurs qu’ils espèrent meilleurs ?
Avec Marine, nous partons faire une semaine d’interviews à Calais. Cette ville du Nord de la France est depuis une dizaine d’année un point de passage de plusieurs milliers de migrants qui veulent rejoindre l’Angleterre, pour y trouver un travail, pour y rejoindre un frère, un cousin…
Grâce à l’association Salam, qui aide ces personnes dans leurs besoins quotidiens d’urgence (repas, hygiène, coin pour dormir…) nous pouvons installer notre caméra dans un des Algeco de leur camp d’accueil. Nous nous retrouvons au milieu de plus de 400 personnes, de 20 nationalités différentes dans un de leur moment de vie capital, puisque s’ils arrivent à passer en Angleterre, 50 kms plus loin, leur vie peut changer du tout au tout et si non, l’enfer de leur voyage perdurera. Voilà donc des gens dans une situation incroyable qui est celle de l’attente, pour plusieurs jours, semaines ou mois, jusqu’au jour hypothétique où ils pourront s’accrocher au-dessous d’un camion et braver la police pour passer la frontière.
Même si nous sommes pas mal impressionnés par tous ces regards dirigés vers nous, par le fait que nous avons l’impression d’entrer dans leur intimité puisque vu l’heure de notre arrivée, beaucoup d’entre eux sont encore allongés par terre sous des toits ou des tentes sommaires, le contact avec les migrants est très simple et accueillant. Entre notre anglais et l’aide d’Hedy, notre traducteur en langue arabe, les discussions s’entament, nous présentons le film, nous écoutons leurs histoires. Et parmi les volontaires, nous choisissons les 3 premiers hommes pour démarrer les interviews.
Chacun à leur tour, ils s’installent face à notre caméra. Ils viennent du Soudan, d’Afghanistan et d’Erythrée. L’un a souhaité quitter son pays car il n’arrive plus à nourrir sa famille et donc veut tenter sa chance pour avoir un travail lui permettant d’envoyer de l’argent aux siens. Les 2 autres ont fui leur pays pour des raisons politique et de guerre. Ces derniers ont été à plusieurs reprises torturés et partir était donc une question de vie ou de mort. Pour chacun, leur parcours pour rejoindre Calais a duré plusieurs mois, même 22 mois pour l’un d’entre eux. Ils ont tous fait une pause en Lybie pour travailler, amasser une bonne somme d’argent afin de payer les passeurs pour rejoindre l’Europe. Leur chemin est semé d’embûches, de faim, de violence, d’angoisse, de questions sur leurs choix, de pensées envers leur famille qui compte sur eux. Il y a eu des morts sur la route, mais eux sont là, bien vivants, à Calais.
C’est notre première journée d’interviews. Les gens se livrent, ont besoin de partager leur histoire, sont heureux de pouvoir rencontrer des oreilles attentives et qu’on leur donne une place digne, après ces mois de tourments. On sent de la fatigue bien sûr, de la tristesse, des larmes coulent, mais malgré leur vie extrême, ils n’ont pas abandonné leur générosité en chemin et des sourires se dessinent sur leurs lèvres. D’où puisent-ils leur force de vivre ?
On rentre à notre hôtel, bizarrement fatigué car recevoir des témoignages aussi forts bouscule, on se remet en question, on réfléchit sur le sens du monde, puis on se couche sur un lit douillet.
Le lendemain, on se prépare à une nouvelle journée d’interviews. Nous avons organisé quelques rendez-vous la veille, si ces migrants ne sont pas déjà passés cette nuit, de l’autre côté de la Manche.
On arrive près du camp, mais tout le quartier est encerclé par la police française et il nous est impossible d’y accéder. On attend, impuissant, en quête d’informations. On entend dire que quelques migrants ont réussi à échapper à la police en se cachant dans la ville, mais beaucoup d’autres, suite au gaz lacrymogène tôt ce matin se retrouvent enfermés dans des bus. La maire de Calais, nouvellement élue, avait promis à ses habitants qu’elle résoudrait “ce problème de migrants”. Quelques instants plus tard, les bus passent sous nos yeux, avec à nouveau tous ces regards tournés vers nous…
Voilà une année, deux années d’efforts et de sacrifices anéanties par cette action policière violente et par un vol retour dans leur pays d’origine, de quelques heures.
Du coup notre tournage s’est arrêté aussi net, mais une équipe est ensuite partie à Lempedusa et une autre revenue quelques mois plus tard à Calais, pour continuer d’aborder ce thème essentiel et de recueillir ces témoignages hors du commun, mais si révélateur de la vie d’aujourd’hui.
C’est une des facettes de notre planète que Human met en lumière.
Comment trouver sa place dans notre monde, si on ne se sent pas bien dans son pays, si notre pays est en guerre, si on a faim dans son pays ? Où aller ? Qui peut nous accueillir ? Et surtout pourquoi aujourd’hui en 2014, on ne trouve pas de réponses respectables et humaines à ces questions ?
Bien sûr que ces migrants, retournés à la case départ tenteront de revenir. Comment faire autrement que fuir un pays où l’on ne peut pas vivre ?
On ferait tous pareil, non ? »
Hervé Kern